- Les
couleurs de l'automne
Dire :
Les caroténoïdes sont responsables du rougissement
des feuilles en automne. Est-ce montrer la genèse
du rouge-orange ? Non, c'est dire que ce pigment
est rouge-orange, c'est montrer que la couleur des feuilles
d'automne est due à ce pigment.
Les caroténoïdes sont rouge-orange parce qu'elles
ont telle ou telle longueur d'onde, est-ce montrer ce qu'elles
sont ? Non, pas plus que connaître les mesures d'une
table ne nous renseigne sur le matériau dont elle est faite.
Le rouge-orange (comme les autres couleurs) est une
vibration électromagnétique dans l'éther... Mais qui peut
voir une vibration électromagnétique ? Considérons
la rupture ontologique entre ce que nous voyons (les couleurs)
et leur prétendue cause (les vibrations électromagnétiques) :
à quel moment du "trajet" de ces vibrations voit-on
les couleurs ? De telles ondes ne peuvent pas se propager
dans un milieu aussi dense que l'air, leur milieu doit donc
être plus ténu, il a été appellé l'éther mais il n'a jamais
été observé...
Dans cet exemple, ni la biologie ni la physique ne répondent
à la question : quelle est la nature du rouge-orange ?
La plupart des sciences de la couleur (spectrographie,
colorimétrie, psychologie de la perception, etc.) et, à
plus forte raison, les pratiques de la couleur (teinturerie,
photographie, peinture d'art, etc.) ne s'occupent pas de
leur genèse ; elles se débarassent, dirait-on, de cette
question, en se contentant du modèle "fondateur"
de la lumière composite qu'elles présentent en introduction
à leurs ouvrages ; d'autre part, cette présentation
du spectre (magnifiquement) coloré n'a généralement aucun
lien avec la suite de l'étude (qu'on considère par exemple,
le nombre de livres consacrés aux techniques de la peinture
d'art qui présentent la théorie de Newton en introduction !).
Mieux que rien ? Remplissage ? Caution scientifique ?
peut-être, mais ne nous laissons pas impressionner :
y-a-t'il un rapport logique (qui puisse être pensé)
entre l'expérience de Newton et l'utilisation du rouge dans
un tableau par "nécessité intérieure" (Kandinsky) ?
y-a-t'il un rapport logique entre "lumière composite"
et optique ondulatoire ou géométrique ?
Ces sciences et arts pourraient tout à fait se passer
de la théorie newtoniène de la lumière composite :
que les couleurs soient contenues dans la lumière
ou qu'elles apparaissent à la limite entre sombre et clair
ne change rien à leur étude physico-mathématique, ni à leurs
applications artistiques, artisanales ou industrielles.

- Questions
Essayons de répondre aux questions posées dans le chapitre
"Contribution" :
. Pourquoi
au XVIIème siècle y-a-t'il eu soudain sept couleurs
fondamentales, au lieu de deux ou trois depuis l'Antiquité ?
Aristote (384-322/21 av. JC), dans les Météorologiques,
pensait que les couleurs étaient dues à une modification,
un affaiblissement de la lumière ; c'est naturellement
qu'il les a réparties entre les pôles de la lumière et
de l'obscurité, selon qu'elles étaient plus ou moins assombries.
Les couleurs fondamentales étaient, pour la majorité des
auteurs, à chaque extrémité de cette répartition. Or ce
paradigme a prévalu, avec quelques modifications et aménagements,
mais sans interruption conséquente, jusqu'à la théorie
de Newton.
C'est Newton qui, au XVIIème siècle, a donné un
nom aux transitions entre le rouge et le jaune (le orange)
et entre le bleu et le violet (l'indigo) afin d'en rapprocher
le nombre des sept notes de la gamme, et rompre
une fois de plus avec les théories de la couleur de ces
prédécesseurs.
. Pourquoi
la confusion est-elle souvent faite entre violet et magenta ?
Ceux qui confondent ces deux couleurs, mais
aussi ceux qui font apparaître le magenta lors
de la réfraction d'un seul rayon de lumière ou
qui, dans un deuxième temps, inversent ces couleurs dans
leurs représentations des couleurs prismatiques... n'ont
jamais fait l'expérience qu'ils décrivent.
Pour que le magenta apparaisse il faudrait relier
les deux extrémités du "spectre" ou réfracter
avec le prisme deux rayons lumineux : Newton
ne l'a jamais fait, il n'a pas parlé de cette couleur.
. Pourquoi
le vert disparaît-il souvent des couleurs
spectrales ?
Nous avons vu (dans Description
et dans Newton
et Goethe) que l'apparition du vert par la
réfraction d'un rayon de lumière à travers un prisme est
un cas particulier de cette expérience : que le prisme
n'ait plus l'angle qu'a choisi Newton ou qu'il ne soit
plus tenu à la distance choisie par lui ou que l'ouverture
par où entre la lumière ne soit plus de 6 mm, le jaune
et le bleu se séparent et le vert disparaît,
remplacé par du blanc.
L'explication contemporaine de cette "disparition"
est que la partie blanche, entre le bleu et le
jaune, correspond à une infinité de spectres se
recouvrant les uns les autres : pour admettre cette
explication, il faudraut avoir admis la théorie de la
lumière composite ; or nous avons vu (dans façon
de parler) que cette théorie repose sur le même
postulat ! D'un point de vue formel, une rivière
n'est pas constituée d'une infinité de gouttes
d'eau : la goutte d'eau est la forme la plus concise
de la rivière, ou, pour dire autrement : dans
la rivière, les formes individuelles des gouttes
(de pluie par exemple) s'anéantissent, se diluent et disparaissent :
les gouttes n'existent plus. Un autre exemple : la
même peinture grise (mais c'est vrai de n'importe quelle
couleur) peut être constituée de l'addition de blanc et
de noir, mais aussi d'ocre et de violet ou de vert et
de rose, etc. alors peut-on dire, a priori, que ce gris
est fait de telle ou telle façon, puisque rien ne distingue,
visiblement, un gris fait de blanc et de noir, d'un gris
fait d'autres mélanges ?
. L'image
d'une source lumineuse et incolore nous apparaît colorée
après être passée à travers un prisme de verre :
peut-on en conclure que la lumière est faite de "couleurs
mélangées" ?
Les couleurs apparaissent à la limite entre le noir et
le blanc : on pourrait tout aussi bien en conclure
que le prime réfracte une image lumineuse sur un fond
sombre et que cette mise en rapport du lumineux et de
l'obscur, comme dans les milieux troubles dont elle montre
les mêmes couleurs, est colorée...
. Comment
une tomate peut-elle absorber les couleurs et rejeter
sélectivement le rouge ?
L'absorption sélective est une invention sans aucun
fondement, une chimère : elle est basée sur le modèle
de la lumière composite, dont nous avons vu (Newton
et Goethe) qu'il reposait lui-même sur une erreur
d'observation et sur le postulat d'une... lumière composite !
Ne pourrait-on pas raisonnablement, imaginer que
la structure "cristalline" de la matière (au
niveau moléculaire) agisse comme un "milieu trouble" ?
(cette question s'adresse à des chimistes ou à des physiciens)
. Où se
trouve exactement le magenta ?
Le magenta se trouve entre le rouge et le violet.
Il est temps que les illustrateurs se mettent d'accord
sur ce point.
Pourquoi
la théorie de la lumière composite a-t'elle autant de
succès ? *
Les dithyrambes de Voltaire y sont sans doute pour
quelque chose : il était difficile, voire impossible,
pendant longtemps, de critiquer la théorie des couleurs
de Newton, symbole de la philosophie des Lumières, sans
passer aussitôt pour un obscurantiste.
On présente la réfraction de la lumière dans le
premier prisme comme le centre de la théorie de Newton,
et on ne parle pas de ce qui serait vraiment décisif (si
les observations de Newton étaient justes) : la réfraction,
dans un deuxième prisme, d'une lumière monochromatique ;
la première réfraction, pourtant sans conséquence, étant
incomparablement plus facile à décrire que la deuxième
(assortie d'un dispositif compliqué), il fut plus facile
d'en faire un emblème. D'ailleurs, cette seconde réfraction
a été complètement oubliée pas les vulgarisateurs.

-
Aux peintres
Le Traité des couleurs n'est pas une théorie de
l'harmonie des couleurs.Il ne faut pas chercher dans
Effet physique-psychique de la couleur des régles, des
recettes d'harmonie... Quand Ludwig Witgenstein écrit qu'il
ne peut pas se "figurer que les remarques de Goethe
sur le caractère des couleurs et les combinaisons de couleurs
puissent être utiles au peintre" je le comprends ainsi :
les peintres ne devraient faire confiance qu'à ce qu'il
voient et à ce qu'il ressentent, plutôt que chercher
à se rassurer dans des méthodes... Rappelons tout de même
que les "remarques de Goethe sur le caractère des couleurs"
n'occupent que quelque pages à la fin de son Traité des
couleurs, qui n'est lui même qu'une partie de la Farbenlehre...
C'est en amont de ces Effet physique-psychique de la
couleur, qu'il faut toujours revenir : à l'indicible
moment de la chromogénèse que se rejoignent un instant,
et fusionnent, notre âme et l'äme du monde...
"(...)Verdoppelte
sich der Sterne Schein
Das All wird ewig finster sein.
Und was sich
zwischen beide stellt ?
Dein Auge, so wie die Körperwelt.
An der Finsternis
zusammengeschrunden,
Wird dein Auge vom Licht entbunden." |
"(...)
Même si redoublait la clarté des étoiles
L'univers éternellement sera obscur.
Et ce qui s'interpose
entre eux deux, qu'est-ce donc ?
Tes yeux à toi, ainsi que le monde sensible.
Tes yeux qui
se sentaient crispés dans les ténèbres,
Sont à la liberté rendus par la lumière. (...)" |
Goethe, Gott, Gemut, und Welt, Dieu, Âme et Monde (extraits)
1812-1814

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