"Si tu sais quelque chose de plus juste que cela, [sache 
                que] c'est de bonne foi que je t'en ai fait part ; sinon, 
                sers-toi comme moi de ces réflexions." 
                Goethe 
                  (1749-1832), avant-propos du Traité des Couleurs 
                  
                 
                  
                    
                 
                
                  - Questions 
                    
 
                 
                 
                   
                     Dans 
                      les descriptions modernes de "l'expérience classique de 
                      Newton qui consiste à faire tomber sur un prisme 
                      un faisceau de lumière blanche"*, 
                      on mentionne l'apparition de sept couleurs : rouge, 
                      orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet. La lumière solaire 
                      est donc déviée par le prisme et se colore en s'étirant. 
                      On dit que la lumière est dispersée. 
                      Ces couleurs sont ce qu'il est convenu d'appeler le "spectre" 
                      de la lumière blanche. On précise alors qu'elles sont contenues 
                      dans la lumière. On en donne pour preuve que les couleurs 
                      spectrales réfractées par un second prisme, inversé par 
                      rapport au premier, redonnent de la lumière. On explique 
                      enfin qu'une tomate est rouge parce qu'ayant absorbé 
                      toutes ces couleurs, elle ne rejette que le rouge...  
                    Cette explication 
                      est très généralement admise : elle est facile à transmettre, 
                      facile à résumer. Mais cette théorie vous-paraît-t'elle 
                      évidente ?  
                      On peut dire qu'une table est faite de bois ou de fer, mais 
                      qu'est-ce qui permettrait de dire que la lumière est faite 
                      de couleurs ? Le rapport de contenant à contenu se 
                      prévoit quand il s'agit de chapeau et de lapin, mais quand 
                      il s'agit de lumière et de couleurs ? Les expériences 
                      de Newton l'ont-elles vraiment montré ? 
                      En cherchant à reconstituer cette experimentum crucis, 
                      à travers ses diverses descriptions (notamment celle qu'en 
                      fit Newton lui-même), en examinant toutes les possibilités 
                      de réfraction de la lumière par un prisme, en comparant 
                      les différentes théories de la couleur depuis l'Antiquité, 
                      d'autres questions se posent :  
                     
                      . Pourquoi au XVIIème siècle y-a-t'il eu soudain sept 
                      couleurs fondamentales, au lieu de deux ou trois depuis 
                      l'Antiquité ? 
                      . Pourquoi la confusion est-elle souvent faite entre violet 
                      et magenta ? 
                      . Pourquoi le vert disparaît-il souvent des couleurs 
                      spectrales ? 
                      . L'image d'une source lumineuse et incolore nous apparaît 
                      colorée après être passée à travers un prisme de verre : 
                      peut-on en conclure raisonnablement que la lumière 
                      est faite de "couleurs mélangées" ? 
                      . Comment une tomate peut-elle absorber les couleurs et 
                      rejeter sélectivement le rouge ? 
                      . Où se trouve exactement le magenta ? 
                       Pourquoi cette théorie de la lumière composite a-t'elle 
                      autant de succès ?  
                      
                   
                 
                
                  -  
                    Opposition
 
                 
                 
                   
                    Il y a eu, dès 
                      la publication des travaux de Newton, à partir de 1672 et 
                      jusqu'à nos jours, d'âpres discutions autour de cette théorie 
                      de la lumière et des couleurs, voire une franche opposition 
                      à la démarche scientifique inaugurée par Newton. Cette contestation 
                      a eu, depuis le XVIIème siècle, de nombreux représentants : 
                      des physiciens (Hooke, Pardies, Huygens, Gouy...), des philosophes 
                      (Schopenhauer, 
                      Schelling, Hegel...), des peintres (Runge, Eastlake, Turner, 
                      Klee, Kandinsky...) mais elle a surtout été brillamment 
                      personnifiée, dès 1810 par la Farbenlehre ("Traité des 
                      couleurs") de Johann Wolfgang von Goethe. 
                    Depuis sa parution, 
                      La Farbenlehre a été abondamment critiquée : Pour sa 
                      simplicité, son bon sens, sa "visibilité" (on n'y trouve 
                      aucune expérience de laboratoire, ni aucune théorie mathématique) 
                      et pour ce qui fait sa grandeur, sa beauté : Goethe, 
                      comme ses prédécesseurs depuis Aristote, voit l'origine 
                      des couleurs dans les archétypes fondamentaux lumière et 
                      obscurité ; il montre (il n'est ici pas besoin 
                      de démontrer) comment elles "agissent" 
                      ou "pâtissent", comment de leurs "actes et 
                      de leur souffrance" naissent les couleurs. 
                      
                   
                 
                
                  -  "Ce 
                    qu'est l'enjeu"
 
                 
                 
                  
                     
                      |   WAS 
                          ES GILT 
                          Dem Chromatiker 
                        Bringst du 
                          die Natur heran, 
                          Daß sie jeder nutzen kann, 
                          Falsches hast du ersonne, 
                          Hast der Menschen Gunst gewonnen 
                        Möget ihr 
                          das Licht zerstückeln, 
                          Farb und Farbe draus entwickeln, 
                          Oder andre Schwänke führen, 
                          Kügelchen polarisieren, 
                          Daß der Hörer ganz erschrocken, 
                          Fühlet Sinn und Sinne stocken : 
                          Nein ! Es soll euch nicht gelingen, 
                          Sollt uns nicht beiseite bringen ; 
                          Kräftig, wie wirs angefangen, 
                          Wollen wir zum Ziel gelangen.   | 
                        CE 
                          QU'EST L'ENJEU 
                          (Au spécialiste du chromatisme) 
                        Si tu rends 
                          la nature proche 
                          Au point qu'en puisse user chacun, 
                          Tu n'as rien inventé de faux, 
                          Mais gagné la faveur des hommes. 
                        Décomposez 
                          donc la lumière, 
                          Tirez-en couleur sur couleur, 
                          Ou livrez-vous à d'autres farces, 
                          Polarisez ses particules, 
                          Au point qu'effrayé l'auditeur 
                          En perde l'esprit et les sens : 
                          Vous n'y réussirez pas, 
                          Vous n'allez pas nous écarter ; 
                          Comme à l'origine, avec force, 
                          Nous voulons parvenir au but  | 
                     
                   
                  Dans ce poème, 
                    publié en 1817 dans Zur Naturwissenschaft überhaupt, 
                    comme dans de nombreux autres, Goethe évoque avec ironie 
                    la "spaltung", la division : Réduire, par exemple, 
                    un flot lumineux (échappant à la description géométrique) 
                    à une droite (le rayon lumineux d'Euclide) 
                    est une commodité : la mesure des angles ou des longueurs 
                    est désormais permise ; mais cette réduction nous éloigne 
                    du monde sensible, de ce qui est accessible aux sens. 
                   
                     Mais que serait 
                      une étude des couleurs qui chercherait à réunir ce qui a 
                      été divisé ? Ce ne serait pas l'étude d'une 
                      couleur séparée des autres, dont la présence serait réduite 
                      à des vibrations de photons et d'influx nerveux  toutes 
                      choses imaginaires, dans le sens où, voulant nous 
                      les représenter, nous ne pouvons que les imaginer  
                      et qui se ramifierait infiniment, se perdrait dans l'univers 
                      abstrait des mathématiques, une couleur incolore... 
                      Que serait l'étude de la naissance des couleurs : comment 
                      de l'obscurité où elles n'existaient pas, elles apparaissent, 
                      miraculeusement ; comment elles se métamorphosent, 
                      comment le violet devient bleu ? comment la lumière 
                      brille en elles ? une "chromophanie"... 
                    
                   
                 
                
                  -  
                    
                  
 
                 
                 
                   
                    Dans le Traité 
                      des couleurs Goethe écrivit à plusieurs reprises qu'il 
                      souhaitait réunir artistes, physiciens, philosophes, chimistes, 
                      etc., afin que chacun puisse prolonger son Traité 
                      et y contribuer par ses expériences particulières ; 
                      par ces pages, j'apporterai donc ma petite contribution 
                      de peintre, d'enseignant et d'amoureux des couleurs au Traité 
                      des couleurs  de Goethe. 
                      On m'a souvent fait la remarque qu'une contribution au Traité, 
                      si petite soit-elle, devrait être plus illustrée : je n'ai 
                      en effet utilisé qu'un minimum d'illustrations et elles 
                      sont, sauf une qui montre quelques traces de couleur, en 
                      noir et blanc ; explications : D'abord, (je cite ici l'Avant-propos 
                      au Traité des couleurs de Goethe) : "On ne peut 
                      cerner par des lignes ni esquisser en coupe un phénomène 
                      naturel qui exerce ses effets en tous sens. (...) très souvent 
                      ces figures ne représentent que des concepts ; ce sont des 
                      moyens de fortune symboliques, des modes de transmission 
                      hiéroglyphiques qui peu à peu prennent la place du phénomène 
                      et de la nature, et entravent la véritable connaissance 
                      au lieu de la favoriser."* 
                      Ensuite, des illustrations colorées ne me semblent pas indispensables 
                      ; elles sont lentes à charger, même compressées et n'ajoutent 
                      rien à mon propos : cherchez plutôt à expérimenter directement 
                      ! 
                      
                   
                 
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